L'intention du livre de Zénon |
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Tout est Un (Parménide), et Le Multiple n'existe pas (Zénon) !? Zénon veut en fait soutenir la thèse (moins ridicule) de l'Un de Parménide Ressemblance et dissemblance d'une forme Toute chose peut être dite Une et Multiple Formes absolues et participation |
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Tout est Un, et Le Multiple n'existe pas !? Non pas, dit Zénon : tu as, au contraire, bien saisi l’intention générale de mon livre. |
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Zénon veut en fait soutenir la thèse de l'Un de Parménide, moins ridicule ! |
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- Voila ce que tu n’as pas vu, Socrate, quand tu as cru qu’il avait été dicté, non par l’humeur batailleuse du jeune homme, mais par l’ambition de l’homme mûr. Au reste, comme je le disais, tu n’as pas mal caractérisé mon ouvrage. Ressemblance et disemblance d'une forme - Soit, j’accepte ton explication, dit Socrate, et je crois qu’il en est comme tu dis. Mais dis-moi une chose : ne penses-tu pas qu’il y a une forme * en soi de la ressemblance et une autre opposée à celle-là, celle de la dissemblance en soi ? Que toi et moi et tout ce que nous appelons le multiple, nous participons de ces deux formes, que les choses qui participent de la ressemblance deviennent semblables en tant et pour autant qu’elles en participent, que celles qui participent de la dissemblance deviennent dissemblables, et celles qui participent des deux, l’un et l’autre à la fois ? Si toutes choses ont part à ces deux formes contraires et sont par le fait de cette double participation à la fois semblables et dissemblables à elles-mêmes, qu’y a-t-il là d’étonnant ? Si l’on montrait la ressemblance elle-même devenant dissemblable ou la dissemblance semblable, voilà ce qui me paraîtrait prodigieux : mais si l’on montre que les choses participant des deux en portent les deux caractères, il n’y a là, Zénon, rien qui me paraisse extraordinaire, pas plus que si l’on montre que tout est un par la participation de l’unité, et que ce même tout est multiple par sa participation de la pluralité. p8 |
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Toute chose peut être dite Une et Multiple (sauf les genres et le formes) Mais si on me démontre que ce qui est un est en même temps multiple et qu’à son tour ce qui est multiple est un, c’est alors que je serai surpris, et il faut : en dire autant pour tout le reste. Si l’on démontrait que les genres mêmes et les formes reçoivent en eux ces affections contraires, il y aurait de quoi s’étonner; mais si c'est moi qu’on montre comme étant un et multiple, qu’y a-t-il là d’étonnant ? On peut alléguer, quand on veut montrer que je suis multiple, que mon côté droit diffère de mon côté gauche; ma face de mon dos, et de même pour le haut et le bas-de ma personne; car je participe, j’imagine, de la pluralité. Veut-on, au contraire, montrer que je suis un, on dira que des sept hommes ici présents, j’en suis un, puisque j’ai part aussi à l’unité. Les deux affirmations apparaîtront ainsi comme vraies. Si donc on entreprend de prouver que des choses telles que les pierres, les morceaux de bois et autres pareilles sont à la fois unes et multiples, nous dirons qu’on montre bien que ces choses sont unes et multiples, p9, |
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mais non que l’un est multiple et le multiple un, et qu’on ne dit rien là de surprenant, mais bien ce que nous accordons tous. Mais si on commence par distinguer et mettre à part les formes en soi des choses dont je pariais tout à l’heure, par exemple la ressemblance et la dissemblance, la pluralité et l’unité, le repos et le mouvement et toutes les choses du même genre, et qu’on démontre ensuite que ces formes peuvent se mélanger et se séparer, voilà Zénon, dit-il, de quoi je serais prodigieusement surpris. Tu as traité tout cela avec une mâle vigueur; mais, je le répète, je serais bien plus charmé d’entendre quelqu’un capable de montrer la même contradiction impliquée en mille manières dans les formes mêmes, et de faire pour les objets de la pensée ce que vous avez fait pour les objets visibles.» Pendant que Socrate prononçait ce discours, Pythodore s’attendait, dit-il, à voir Parménide et Zénon se fâcher à chaque phrase; mais, en fait, ils l’écoutaient avec la plus grande attention, ils se regardaient fréquemment l’un l’autre et souriaient, comme s’ils étaient charmés de Socrate. C’est le sentiment qu’exprima Parménide, lorsque Socrate eut fini : « Combien, lui dit-il, tu mérites d’êtreadmiré, Socrate, dans ton ardeur pour la discussion ! p10 Formes absolues et participation Mais dis-moi, est-ce de toi-même cette distinction que tu fais, quand tu mets à part certaines formes qui ne sont que des formes, et à part aussi les choses qui en participent ? et crois-tu qu’il existe une ressemblance en soi distincte de la ressemblance qui est la nôtre, et qu’il en est de même pour l’un, le multiple et tout ce que tu viens d’entendre nommer à Zénon ? -Oui, dit Socrate. - Et aussi, continua Parménide, pour d’autres choses? Crois-tu qu’il y ait aussi, par exemple, quelque forme en soi et par soi du juste, du beau, du bon et de toutes les choses de cette sorte ? — Oui, dit-il - Et aussi une forme d’homme distincte de nous et de tous les hommes comme nous, une forme en soi d’homme, une forme de feu et d’eau ? — J’ai été souvent, Parménide, répondit Socrate, perplexe au sujet de ces choses, ne sachant s’il fallait en juger comme des précédentes ou autrement. — L’es-tu aussi, Socrate, au sujet de choses qui pourraient paraître ridicules, comme le poil, la boue, la saleté ou toute autre chose insignifiante et sans valeur ? p11 |
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Te demandes-tu s’il faut admettre qu’il y a aussi pour chacune d’elles une forme à part, distincte, elle aussi, des choses que nous touchons de nos mains ? — Non, répondit Socrate. Pour les choses que nous voyons, je ne doute pas de leur existence; mais de penser qu’il en existe une forme, j’ai peur que ce ne soit par trop étrange. Cependant il m’est parfois arrivé de me sentir troublé et de me demander si toutes les choses n’ont pas également leur forme. Puis, quand je me suis arrêté à cette pensée, je m’en détourne en toute hâte, de peur de tomber et de me noyer dans un abîme de niaiserie. Revenu aux choses dont nous avons dit qu’il existait des formes, j’y consacre mon temps et en fais mon étude. — C’est que tu es encore jeune, Socrate, reprit Parménide, et la philosophie ne s’est pas encore emparée de toi, comme elle le fera, j’en suis sûr, p12, |
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quand tu ne mépriseras plus aucune de ces choses.
À
présent, tu regardes encore à l’opinion des
hommes, à cause de ton âge.
Quoi qu’il en soit, réponds à cette question.
Crois-tu, comme tu le dis, qu’il y a certaines formes
dont les objets qui en participent tirent leur
d é n o m i n a t i o n , q u e p a r e x e m p l e c e u x q u i
participent de la ressemblance deviennent
semblables, ceux qui participent de la grandeur,
grands
; de la beauté et de la justice, justes et
beaux
?
— Certainement, répondit Socrate.
— Est-ce de la forme entière ou d’une partie que
chaque participant participe
? Ou bien y aurait-il
encore une autre manière de participer en dehors
de celles-là?
— Comment cela serait-il possible
? répondit
Socrate.
— Te semble-t-il donc que la forme entière soit
dans chacun des objets multiples, tout en étant
une, ou quel est ton sentiment
?
— Qu’est-ce qui s’oppose, Parménide, à ce
qu’elle y soit
? demanda Socrate.
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— Ainsi donc, tout en étant une et identique,
elle serait à la fois tout entière dans plusieurs
choses séparées, et par suite elle serait elle-même
séparée d’elle-même
?
— Non pas, répliqua Socrate
; car elle pourrait
être comme le jour qui, un et identique, est à la fois
en beaucoup de lieux, sans être pour cela séparé de
lui-même.
C’est ainsi que chaque forme peut être à la fois
dans tous ses participants, sans cesser d’être une et
identique.
— Voilà, Socrate, reprit Parménide, une
plaisante manière de faire que la même chose soit
présente dans plusieurs endroits à la fois : c’est
comme si, ayant étendu une toile sur plusieurs
personnes, tu disais qu’étant unique, elle est tout
entière sur plusieurs. Ne crois-tu pas que c’est à
peu près ce que tu dis
?
— Peut-être, dit Socrate.
— En ce cas, la toile serait-elle entière sur
chacun, ou telle partie sur l’un, telle partie sur
l’autre
?
— Une partie.
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— À
ce compte, Socrate, reprit Parménide, les
formes elles-mêmes sont divisibles et les objets qui
en participent ne participent que d’une partie, et
chacun d’eux n’a plus en lui la forme entière, mais
une partie seulement.
— Il paraît bien qu’il en est ainsi.
— Alors, Socrate, con sentiras-tu à dire-que
notre forme, qui est une, est réellement divisible et
qu’elle sera encore une
?
— Pas du tout, répondit Socrate.
— Considère en effet ceci, reprit Parménide : si
tu divises la grandeur en soi, et si chacune des
choses multiples qui sont grandes l’est par une
partie de la grandeur plus petite que la grandeur
elle-même, cela ne paraîtra-t-il pas absurde
?
— Si vraiment, dit-il.
— Suppose encore qu’un objet n’ait reçu qu’une
parcelle de l’égalité : pourra-t-il, par cette parcelle
plus petite que l’égalité en soi, être égal à quoi que
ce soit
?
— C’est impossible.
— Mais supposons que l’un de nous ait une
partie de la petitesse. Le petit en soi sera plus 15 |
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grand que cette partie, puisqu’elle n’est qu’une
partie de lui-même, et voilà le petit même qui est
plus grand, tandis que la chose à laquelle on aura
ajouté ce qu’on lui enlève en sera plus petite et non
plus grande qu’avant l’addition.
— Cela, dit Socrate, est inadmissible.
— De quelle manière veux-tu donc, Socrate,
reprit Parménide, que les choses participent des
formes, alors qu’elles ne peuvent participer ni de
leurs parties ni de leur totalité?
— Par Zeus, répliqua Socrate, c’est une chose
qui ne me paraît pas du tout facile à déterminer
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— Eh bien, que dis-tu de ceci
?
— De quoi?
— Voici, je pense, ce qui te fait juger que chaque
idée est une. Lorsque plusieurs objets te paraissent
grands, si tu les regardes tous à la fois, il te semble
sans doute qu’il y a en tous un seul et même
caractère, d’où tu infères que la grandeur est une.
— C’est vrai, dit Socrate. |
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